Depuis fin 2021, Naïssam Jalal a sillonné les routes de l’Inde à plusieurs reprises pour nourrir son imaginaire et alimenter ses compositions pour ce nouveau répertoire. Entourée de cinq musicien.ne.s indien.ne.s et occidentaux.ales, elle racontera en musique les vibrations que ce pays a déposé en elle. Profondément liées à la nature et aux empreintes de spiritualité, les compositions de Naïssam Jalal font de la tradition la source vitale d’une musique infiniment contemporaine.
« Depuis 20 ans, la musique hindoustani, musique classique d’Inde du nord, ponctue mon quotidien, nourri ma réflexion sur le silence, enrichi la profondeur de mon expression, m’enseigne des nuances de langage et soigne mes peines. Musique modale par excellence, elle se déploie dans l’espace comme l’océan : derrière son apparence horizontale et infinie, elle cache une verticalité profonde et insondable. Depuis 20 ans je puise dans la musique de Hariprasad Chaurasia, Bismillah Khan, N. Rajam, Lata Mangeshkar, Salamat et Nazakat Ali Khan, et tant d’autres génies de la tradition hindoustani, une inspiration sans fin, une spiritualité paisible, un repos bienfaisant.
La musique n’est pas universelle. Chaque peuple invente son langage propre. Le langage musical est l’expression intime de l’esprit d’une communauté d’êtres humains.
La musique hindustani entretien un lien profond et conscient avec la spiritualité et la nature. Avec la spiritualité car elle trouve sa source dans la musique dévotionnelle qui se jouait dans les temples il y a déjà plusieurs milliers d’années pour rendre hommage au divin. Et avec la nature car chaque raaga (à la fois échelle mélodique, mode, couleur et chemin) correspond à une heure de la journée, une position du soleil ou de la lune dans le ciel, une saison, etc..
Pour aborder la musique classique d’Inde du nord, il me fallait étudier son langage, le système qui la constitue (sa grammaire, son vocabulaire, ses règles) mais également chercher à percevoir son esprit à travers ses paysages (formes, lumières, textures et climats) et en faire l’expérience physique, dans mon corps, mais aussi à travers ses histoires (historiques, imaginaires ou mythologiques) et ses héritiers et créateurs. Apprendre. Traverser. Rencontrer.
Apprendre. Ces 4 dernières années de ma vie, j’ai passé beaucoup de temps à découvrir la littérature et le cinéma indiens, à étudier l’histoire du sous-continent, et à approfondir ma connaissance de la musique indienne. J’ai butiné le savoir de différents musiciens de tradition hindustani en chant dhrupad et khayal, tabla et bansuri au gré des rencontres et du temps. En janvier 23, j’ai eu la chance de passer un mois à étudier chez le plus grand flutiste et maître du bansuri Pandit Hariprasad Chaurasia, celui qui fut ma porte d’entrée dans la musique hindustani et sa plus sublime expression.
Traverser. J’ai voyagé seule, en Inde du nord, pendant plusieurs mois, traversant à chaque fois plusieurs milliers de kilomètres en trains couchettes, en bus de campagne, en auto- rickshaw, à pied ou à vélo. En décembre 21, en pleine pandémie, avec des restrictions incroyables, de Delhi à Mumbai en passant par Jaipur, dans des rues parfois désertes. L’année suivante, je suis repartie pour traverser l’Inde d’est en ouest en remontant la vallée du Gange de Calcutta, capitale culturelle déchue, à Lucknow, ville du faste passé de l’Islam indien, en passant par Bénarès, ville sacrée de l’Hindouisme, et Gwalior, capitale d’une des grandes écoles de la musique classique, avant de retourner à Mumbai, la mégalopole la plus peuplée et la plus cosmopolite de l’Inde. En aout 23 de nouveau, pour explorer l’Inde rurale au Rajasthan et en Madhya Pradesh.
Rencontrer. Les musiciens, les gens, les saveurs, les langues, les couleurs, les bruits, l’imaginaire, les odeurs, les paysages, la lumière.
Lors de mes voyages j’ai été saisie par un sentiment de paix très profond. Non pas comme si je me sentais chez moi mais plutôt comme si j’avais toujours été là. Tout ce qui était surprenant, différent, parfois surréaliste même, me semblait naturel, évident. Les paysages et les rencontres traversés pendant ces voyages m’ont aussi profondément traversés me ramenant une paix intérieure nouvelle et lumineuse.
A la recherche de l’esprit de la musique indienne, j’ai trouvé des éléments de réponse à mes questions de musicienne, de femme et d’humaine. J’ai ressenti à quel point, dans la contemplation, l’abandon au flot du réel, le temps peut accueillir l’éternité.
Le répertoire
« J’ai écris ce répertoire impressionniste en sollicitant le langage de la musique classique indienne tout en restant dans une démarche personnelle et contemporaine. Un répertoire d’aujourd’hui, une musique à la fois intime et personnelle basée sur des sensations tangibles et à la fois ancrée dans la source traditionnelle par un lien explicite.
L’instrumentation est singulière et rend bien compte de l’esthétique contemporaine en même temps que du lien fort à la source : piano, batterie, sarod, pakhavaj, tanpura et moi même à la flute et à la voix.
Dans la musique hindustani, une pièce de musique qui va développer un raaga, dure environ une heure (ca dépend évidemment des soirées ou des contraintes). Tout le concert se déroule avec la tampura en accompagnement, qui joue un bourdon qui ne change jamais de note, créant une transe, une sensation complètement hypnotique (Alice Coltrane entre autre s’est beaucoup servi de cet instrument dans son travail après sa conversion à l’Hindouisme). En occident, où la musique modale est rare, personne ne prendrait le risque de jouer une heure de concert avec la même tonique tant le challenge est immense.
Comment être capable de renouveler un discours musical en gardant un bourdon unique et une tonique inchangée pendant une heure ou plus ? Pourtant j’ai souhaité relever le défi et écrire tout le répertoire en me fondant sur une tonique unique. C’est une contrainte que j’ai choisie mais qui est aussi liée au choix du sarod, un instrument à corde de la tradition hindoustani qui peut jouer tous les modes mais uniquement à partir d’une seule tonique.
Le sarod, de même que bien d’autres instruments de la tradition hindustani d’ailleurs, est né de la rencontre des civilisations hindoues et musulmanes au moment des invasions mogholes en Inde. Le sarod comme les tablas (de l’arabe tabla « petits tambours ») n’existaient pas en Inde avant les invasions. L’empire moghol en Inde est un empire tout à fait singulier tant il est porteur de métissage. Pour faire simple, les mongols, dans la lignée de Gengis Khan, envahissent Bagdad en 1258, goutent au raffinement des palais arabes et perses du khalifa abbasside, se convertissent à l’islam (1eres conversions notables dès 1295) pour ensuite envahir l’inde en 1526. En Inde, ils fondent l’empire moghol.
Avant leur invasion, en Inde, la musique était uniquement réservée à la dévotion et ne se jouait pas en dehors des temples. Avec l’édification des palais de ces empereurs musulmans on assiste à l’émergence d’une musique de cour. C’est à ce moment là que de nouveaux instruments naissent de la rencontre des musiciens indiens et ceux venus d’Irak, de Syrie, de Perse… Le sarod et les tablas sont les instruments emblématiques de cette rencontre et incarnent la richesse de ce métissage. Le répertoire de Landscapes of Eternity dessine une fresque faite de différents paysages à différents moments de la journée et leur vibration particulière pour conter mon cheminement dans les méandres de la musique hindoustani et de ses paysages sensoriels et imaginaires. » – Naïssam Jalal
Naïssam Jalal (France) - flûtes, voix, composition
Samrat Pandit (Inde) - voix
Sougata Roy Chowdhury (Inde) - sarod
Leonardo Montana (France) - piano
Anuja Borude (Inde) - pakhawaj, voix
Zaza Desiderio (France) - batterie
Flo Comment (France) - tanpura